Scènes de la vie paysanne en voie de disparition
Tel monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, Bernard Lataste fait-il du documentaire sans le savoir ? Jeune retraité, l’ancien directeur de l’école de Cocumont occupe ses loisirs, notamment, à l’écriture et à la vidéo. Avant que ne débutent les campagnes d’arrachage, il avait déjà réalisé un premier film d’une vingtaine de minutes sur le vignoble. Il a ainsi fixé pour la postérité des paysages, aux alentours de Cocumont, qui ont disparu aujourd’hui Voici deux ans, l’instituteur s’est mis en tête d’aller, avec sa caméra vidéo, dans une famille d’agriculteurs de sa connaissance, les Dumas. André, 70 ans, et Jeanine, sont retraités mais toujours actifs sur l’exploitation reprise par Didier Des Scènes magnifiques Monique, l’épouse de l’instituteur, allait régulièrement chez André et Jeanine Dumas acheter des œufs. Elle rapportait à son mari combien les scènes paysannes « à l’ancienne » dont elle était témoin lors de ses visites lui semblaient magnifiques. Mais aussi en voie de disparition. « Tu devrais aller filmer ». Ça a commencé comme ça. Et puis ça a continué. Bernard Lataste s’est pris au jeu. Il a filmé durant sept mois. Le travail dans la vigne, les vaches, le poulailler, le jardin (plus bio que bio !), les travaux de broderie de Jeanine l’hiver au coin du feu, la cuisine du cochon... « Ils travaillent encore à l’ancienne », dit l’instituteur. « Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont arriérés » nuance-t-il aussitôt. La dernière Génération Séquence après séquence, Bernard Lataste a pris conscience de la valeur de ce témoignage : « J’ai pensé que ce n’était pas si mal que ça, ce qu’on était en train de faire ». L’intérêt du sujet tient, pour beaucoup, dans le plaisir, le naturel et L’intelligence avec lesquels les deux agriculteurs racontent leur vie à la ferme, et leur vie tout court. Qui ne sera plus jamais celle de leurs enfants. Pour Bernard Lataste, Jeanine et André Dumas ont quelque chose des derniers Mohicans. « Ils représentent la dernière génération à travailler et à vivre comme ils le font ». Car, si Didier a repris la ferme, la donne a changé. Pas en bien. La récente crise viticole, surtout, a porté un sale coup à l,exploitation. Les Dumas vivaient avec quelques hectares de tomate, une dizaine de vaches et vingt hectares de vigne La tradition et l’enfance Ils ont été contraints d’arracher douze hectares de leur vignoble, aujourd’hui reconvertis en prairie. Pour vivre décemment, Didier travaille aussi à l’extérieur, en tant que chauffeur. Il explique à l’écran que la ferme lui permet seulement de payer ses charges et d’avoir une couverture sociale... Ce documentaire, qui dure 70 minutes, n’est pas seulement l’évocation nostalgique de traditions et d’un monde « qui s’estompent ». Il pose aussi les difficultés qu’affronte « amèrement » la jeune génération de la terre. Bernard Lataste, lui-même fils d’agriculteurs, explique qu’il voulait « conserver une trace » de ce monde paysan traditionnel. Qui était aussi celui de son enfance. La projection du film de Bernard Lataste, intitulé « Les Enfants s’en souviendront », aura lieu dans le cadre de la prochaine veillée gasconne de l’association des Arts et traditions populaires (ATP), jeudi à 20 heures à la médiathèque de Marmande (salle René-Char). La projection sera suivie d’un débat avec l’auteur du tournage et ses deux principaux inspirateurs, Jeanine et André Dumas.
Christine caubet-Boullière. |